C l’histoire de…

Vu sur le journal du parc de Chartreuse N°10 – Eté 2014

Lorsque
je pense poésie,
je pense gravure,
lorsque
je pense gravure,
je pense poésie.

Marc Pessin, graveur et éditeur créateur d’une œuvre qui nous fait signe


Pénétrer dans le très vaste bureau bibliothèque de Marc Pessin, c’est entrer paisiblement dans son intimité autant que dans le labyrinthe de l’univers des signes qu’il n’a cessé de façonner tout au long de sa longue vie de créateur. C’est aussi choisir de suspendre le temps d’un quotidien impétueux pour approcher celui d’une douceur qui semble éternelle, figée dans la matière ou dans les livres, mais puissamment expressive, vivante et chargée d’humaines émotions…

Après une prime jeunesse parisienne au cours de laquelle il s’initie à l’art de la gravure auprès de différents maîtres tout en se liant avec des poètes rencontrés à la Coupole, la célèbre brasserie parisienne, c’est au sommet de la colline des Charbinières surplombant Saint-Laurent-du-Pont, qu’au milieu des années soixante, Marc Pessin, aspirant à quitter la “brutalité de la ville”, a choisi d’installer son atelier. Il dessinera lui-même le bâtiment dont l’architecture sobre et singulière joue avec de multiples angles cassés, formant autant de lignes qui pointent le ciel comme pour lui adresser un signe… C’est là, comme l’écrira le célèbre poète et éditeur de poésie, Pierre Seghers, que “loin du bruit et des vaines agitations, dans un vaste atelier dédié à la lumière, un homme apprivoise ses outils, ses matériaux, son énergie, sa création”. Ainsi Marc Pessin donne-t-il corps à une œuvre féconde et multiforme, ostensiblement née sous le signe de l’écriture qui, depuis plus de soixante ans constitue à la fois la source et le fil d’Ariane de ses créations.

Un artiste artisan

Si Marc Pessin assume volontiers cette dénomination quelque peu atypique, c’est sans doute parce que son œuvre se situe aux confins d’une myriade de palettes d’expressions artistiques qui convergent toutes vers l’écriture, cœur de son œuvre. Car au fond, quel artiste est Marc Pessin ? Certes graveur et éditeur comme il se définit lui-même, mais aussi, peintre, sculpteur, illustrateur, calligraphe, sérigraphe, céramiste, tout autant que faiseur de livres. Et de quels livres !

“Éditer c’est accoucher”

Sous l’égide de la maison d’édition” Le Verbe et l’Empreinte” qu’il a fondée et qu’il continue d’animer, Marc Pessin a édité quelque 1250 ouvrages fondant un exceptionnel édifice de la bibliophilie contemporaine. “Éditer c’est accoucher” dit-il pour souligner le lien charnel qui l’unit à l’écriture. Parmi les 178 poètes inscrits à son catalogue, Jorge Luis Borges, Andrée Chedid, Louis Aragon, Michel Butor, Alain Bosquet, Eugène Guillevic, Pierre Seghers, Marguerite Yourcenar, Georges-Emmanuel Clancier, François Cheng, Jean-Claude Renard, Gabriel Cousin, Jean-Pierre Chambon ou Pierre Péju… Autant dire les plus grandes figures de la poésie du XXè siècle parmi lesquelles se détache celle de Léopold Sendar Senghor, le poète, premier président de la République du Sénégal, l’Académicien, chantre de la “négritude” auquel l’éditeur a consacré une vingtaine d’ouvrages. Avec chacun d’eux, Marc Pessin a tissé le fil d’une relation complice de laquelle est née une édition originale. Poésie et gravure se répondant pour ne plus former que les deux tempos d’une même partition. Marc Pessin transcrit-il en signes l’écriture d’un autre ? Mystère de la création renouvelée des milliers de fois au fil d’un travail de longue patience pour donner vie et sens à des créations d’une étonnante et subtile humanité qui constituent une œuvre impressionnante. Ainsi, il se dit que Marc Pessin a renouvelé l’art de la gravure auquel il a apporté l’abstraction, la géométrie des formes, la fluidité des lignes et des courbes, magnifiant la pureté ou la minéralité de la matière.

“L’art me relie au monde”


“Je suis dans la vie, j’aime les gens, je ne suis pas un solitaire”, confie Marc Pessin qui ajoute, “l’art me relie au monde”. Ainsi, peu à peu, s’éclaire le sens de son travail dont on comprend que s’il le relie au monde par mille et un détours, parfois facétieux, il dessine un univers de signes composant une seule et même langue qui relie les uns aux autres. “Au fond tu n’as peut-être jamais fait que forger, mais avec quelle finesse, avec quelles sûretés de trait et sûreté d’esprit, un “alphabet” un peu fou mais titanesque, permettant de former des milliards de mots (…)”, lui écrit Pierre Péju dans “Le Bibliotaure”. Tout chez lui, exprime la douce et profonde humanité qui l’habite et que l’on perçoit dans sa quiétude, cette manière de poser son regard ou de se déplacer paisiblement. Jusque dans cette façon qu’il a d’évoquer avec un détachement dénué de toute vanité, sa fibre créatrice. En sa compagnie, tout devient, simple, paisible, fluide, lumineux.

Une discrète et rayonnante notoriété


Artiste singulier, Marc Pessin s’est hissé silencieusement parmi les plus grands. Sa notoriété est à son image, discrète et rayonnante. Ainsi est-il régulièrement exposé aux quatre coins du monde : New-York, Montréal, Paris, Berlin, Osaka, Luxembourg, Mayence… Reconnu, il a reçu quatre fois le prix du “plus beau livre de l’année” ainsi que le diplôme de prestige de la foire du livre d’art de Leipzig. C’est ici, au cœur de la Chartreuse qu’inlassablement, sa main d’artiste guide le burin, la gouge, la pointe, la fraise du dentiste ou le laser pour engendrer patiemment une œuvre qui fait signe. “Laisser une empreinte me confère une sorte d’immortalité privée”, confie-t-il avec tendresse.