Marc Pessin, graveur du verbe et de l’empreinte.

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Marc Pessin (1967) : illustration du livre de Léopold Sedar Senghor : New-York.

Marc Pessin, graveur du verbe et de l’empreinte.
par Jean-Paul Gavard-Perret
Expositions de Marc Pessin,
« Gravures et sculptures », Musée » de Grenoble du 3 avril au 14 juin 2009.
« Le Verbe et l’empreinte », Bibliothèque d’Etude de Grenoble, du 3 avril au 29 août 2009.
« Complicité avec Jean-Claude Renard », Bibliothèque du centre ville, Grenoble du 3 avril au 29 août 2009.

C’est à travers trois grandes expositions que la ville de Grenoble rend hommage à un des plus grands graveurs de notre temps : Marc Pessin. Maître incontesté de sa discipline il a accompagné tant de prestigieux poètes dans sa traversée de vie. Il se veut désormais « naturaliste ». Toutefois qu’on ne s’y trompe pas : entre le graveur et le naturaliste il y a qu’un pas – celui qui fait passer du livre-papier couverts d’incisions graphiques au grand livre de la nature. Dans l’un comme dans l’autre Marc Pessin n’a cesse de perpétuer un mouvement d’ouverture de la poésie d’autant que cette dernière – même si on l’oublie trop souvent – a originairement affaire avec l’espace. Les expositions grenobloises permettent, ainsi de comprendre le phénomène de la création, ses directions de sens qui sont d’abord d’ordre spatial au sein d’un un espace creusé (aux divers sens du terme) par un geste qui les rassemble tous : celui de la gravure et de l’empreinte, celui de l’art et de l’édition, celui de la communauté avouable entre un graveur et un poète : Jean-Claude Renard..

En un travail éminemment poreux, multiple l’auteur – à proprement parler et sous divers aspects – perce des chemins à travers la matière comme à travers l’avenir. La racine du « per » de ce perçage est important puisqu’il marque la permanence de l’humain comme être au monde dans sa capacité d’ouvrir l’espace, le temps, ses lieux d’être ou plutôt d’existence. En des oeuvres parfaites dans leur accomplissement (mais on sait que la gravure ne tolère pas l’imperfection) l’espace n’est pas dans le sujet, ni le monde dans l’espace : celui-ci est dans celui-là en tant que constituant la présence de l’être ouvert au monde par l’espace (feuille de papier ou paysage). Et c’est parce que le graveur-naturaliste (et on comprend alors l’importance de lier ces deux dénominations) est capable d’espace, de « là-bas » qu’il est à même de les traverser.

Toutefois, afin d’aller « là-bas » il faut, et Pessin l’a compris, y être déjà. Il faut que ce « là-bas » (qu’il soit l’oeuvre ou le monde) se comprenne sous l’horizon de notre présence ouverte et ouvrante. Pour l’artiste, un schème sub-spatial sous-tend l’espace de nos traversées, de nos signes et de nos écritures. C’est pourquoi il leur attache une si grande importance. En chacune de ses création s’ouvre un champ d’omniprésence que, à sa façon, Robert Delaunay avait pressenti en parlant de simultanéisme. Pour Pessin l’ouverture au monde – et quelque qu’en soit le moyeux artistique ou scriptural – se conçoit comme une simultanéité de profondeur – d’où la parenté dans laquelle il a toujours tenu gravure, dessin, graphie et mots : tous sont impliqués dans la même « éclaircie ».
L’artiste est donc avant tout capable d’espace dans sa capacité de présence qui recèle sa capacité d’action, de création. Et pour le graveur de Saint Laurent du Pont, être au monde revient à se situer en puissance d’un espace qu’il crée « à sa main » pour qu’il devienne « maniable ». La main du graveur est donc articulée et articulante. La parole l’est aussi. Et c’est pourquoi Pessin n’a cesse de les conjuguer, même si leurs jonctions diffèrent. Main et parole n’ont pas affaire à la même spatialité, cependant l’artiste intervient à leur charnière : là où la parole n’est pas au service et dans la dépendance directe de l’activité manuelle ou de la technique, il l’articule à ce que lui même, par sa technique, peut joindre et optimiser en opérant plastiquement sur ou dans la matière. L’artiste crée ainsi un autre espace d’ouverture sans cesse repris et intégré dans le rythme même de son imaginaire et de son activité.

En ce sens il crée l’espace du paysage. C’est pourquoi il est autant naturaliste que graveur. Il « marque » comme aux fers ce lieu dans divers jeux de lignes qui souvent excluent le système des références « hors-champ ». Notre horizon et notre paysage intérieur se transforment par une sorte de mutations de lignes en leurs alignements aussi rectilignes que souples, debout et de travers dans la spatialisation rythmique (le pouvoir du rythme étant le fondement de tous les arts) de divers moments de focalisation. Chaque oeuvre de Pessin est à ce titre un foyer d’ouverture – élément fondamental de son art plastique qu’il met au service parfois au service d’autres « signes ».

Jusqu’au coeur de l’écrit, le graveur souligne l’espace qui détermine les séquences poétiques afin de les porter à un niveau supérieur de plénitude. Paroles et gravures entrent en incidence interne de charges réciproques là où les vides médians que crée l’artiste ne sont pas des parties mais des émergences du grand vide initial et final qui cerne toute oeuvre tandis que ses incisions deviennent les sonorités visuels du poème suspendu là dans l’ouvert. Pessin articule donc bien la parole poétique à l’espace d’ouverture du « là » à travers ses gravures et ses empreintes. D’une certaine manière elle participe du non lieu auquel l’artiste donne un espace paradoxal comme l’existence. Ne consistant que de ce paradoxe le travail de l’artiste refonde ainsi l’imaginaire poétique et fonde sans doute l’originaire. C’est en quoi il est bien « naturaliste » et au plus haut point.

Jean-Paul Gavard-Perret